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LOYS XI.

ne peut toucher au passé… Le voilà mort, ce pauvre frère, enterré, cousu dans son linceul ! Oh ! dors-y bien, loin des soucis du monde, des tourments de la terre. (Il s’agenouille devant les reliques de son chapeau.) N’est-ce pas, doux Jésus, que tu lui feras un lit heureux dans ton paradis ? car, une fois mort, je ne lui en veux plus. Je suis bon, tu vois, les lions ne s’acharnent pas aux cadavres. (Il retourne son chapeau d’un autre côté.) N’est-ce pas, douce Marie, qu’il fallait qu’il meure et que tu me pardonneras pour moi, ton ami, cette gentille industrie ? car après tout, c’est un bon tour ; n’est-ce pas que tu supplieras Dieu pour moi, afin qu’il fasse brûler ce méchant abbé de Saint-Jean qui l’a fait empoisonner ? Car enfin, ce n’est pas moi, c’est lui. Et puis je ferai des dons aux églises, j’en bâtirai de nouvelles, et moi-même je me ferai moine sur mes vieux ans, et chaque jour, dans ma cellule, je me donnerai vingt coups de discipline et je dirai huit messes… Mais aussi, que fallait-il faire ? C’était bien le seul moyen, car c’était un traître, et quand Dieu nous a assis sur un trône, il ne faut en sortir que tiré par les pieds comme disait un certain empereur.

Plusieurs éclats de rire.
Le fou

Bravo ! Allons, pâlissez tous devant le roi de France, escamoteurs, sauteurs, paillasses, baladins tant anciens que modernes. Louis XI, vive Dieu ! vous fait sauter des têtes comme une muscade, il joue en grand et sa marotte est un gibet avec quelque tête fraîche encore, qui sonne en haut comme un grelot tout neuf.

Louis XI, appelant.

Tristan ! Tristan ! (Tristan paraît.) Apprête tes affaires. (Il sort.) Vous étiez là, messire fou, comme un espion ?

Le fou

Oui, je finissais derrière l’autel un jambon que