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N’est-ce pas, mère de Dieu, qu’il est mort, bien mort ? Car c’était un paillard et un juif (Il fait plusieurs signes de croix.), et moi, je suis votre saint fils, votre chanoine de Notre-Dame, car monseigneur le Pape m’a permis de siéger au chapitre avec un surplis blanc et de servir la messe à Saint-Denys. Vous m’avez toujours aidé, aidez-moi encore, bonne Vierge ! je vous ferai brûler quatre cents cierges roses pendant trois jours, j’irai pieds nus et en répétant un Confiteor, faire mes dévotions à Tours, et puis j’ordonnerai des processions dans mon royaume pour le repos de son âme… Ô sainte Vierge ! s’il meurt, je te fais paver d’or une niche où tu reposeras aussi mollement que sur les nuages bleus, je te donnerai un cœur d’argent plus gros que sa tête. (Il se relève et se promène à grands pas.) Ils tarderont toujours, les imbéciles qu’ils sont ! S’ils savaient comme je souffre à attendre ainsi, l’âme pleine d’inquiétudes et d’espérances ! Je veux prier, mais c’est en vain. (Il écoute.) Personne ! rien que le vent et les arbres. (Il frappe du pied.) Arrive donc, arrive enfin, bienheureuse nouvelle qui va me rendre maître de mon royaume pour y faire régner la foi, car je veux qu’on adore Dieu et que le peuple soit heureux… Mais moi, je l’adore aussi, car j’ai les genoux endurcis à force de prier et la poitrine toute déchirée par mon cilice, et cependant j’ai toujours au fond du cœur un poids qui me fait mal. Ah ! une couronne est un dur oreiller pour dormir !


Scène II

LOUIS XI, DU LUDE.
Du Lude

Oui, sire !

Louis XI

Quoi ? il est mort ? (Avec joie) bien mort ?