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l’amertume dans le cœur, si elle n’était plus belle et ce qu’il fallait faire pour lui plaire, et puis elle lui souriait, lui étalant à la vue son front pâle, ses cheveux noirs, sa gorge, son épaule, ses seins nus. Ernest restait insensible à tant de séductions, car il ne l’aimait plus, et s’il sortait de chez elle avec quelque émotion dans l’âme, c’était comme les gens qui viennent de voir des fous ; et si quelque vestige de passion, quelque rayon d’amour venait à se rallumer chez lui, il s’éteignait bien vite avec une raison ou un argument.

Heureux donc les gens qui peuvent combattre leur cœur avec des mots et détruire la passion, qui est enracinée dans l’âme, avec la moralité, qui n’est collée que sur les livres comme le vernis du libraire et le frontispice du graveur.

Un jour, dans un transport de fureur et de délire, Mazza le mordit à la poitrine et lui enfonça ses ongles dans la gorge. En voyant couler du sang dans leurs amours, Ernest comprit que la passion de cette femme était féroce et terrible, qu’il régnait autour d’elle une atmosphère empoisonnée qui finirait par l’étouffer et le faire mourir, que cet amour était un volcan à qui il fallait jeter toujours quelque chose à mâcher et à broyer dans ses convulsions, et que ses voluptés, enfin, étaient une lave ardente qui brûlait le cœur. Il fallait donc partir, la quitter pour toujours, ou bien se jeter avec elle dans ce tourbillon qui vous entraîne comme un vertige dans cette route immense de la passion, qui commence avec un sourire et qui ne finit que sur une tombe.

Il préféra partir.

Un soir, à dix heures, Mazza reçut une lettre, elle y comprit ces mots :

« Adieu, Mazza ! je ne vous reverrai plus ; le ministre de l’intérieur m’a enrôlé d’une commission savante qui doit analyser les produits et le sol même du Mexique.