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tout ce que la passion a de plus frénétique, de plus sublime, il allait s’ouvrir devant elle une suite continue de voluptés, de plaisirs.

Souvent, dans les transports du délire, elle s’écriait que la vie n’était que la passion, que l’amour était tout pour elle ; et puis, les cheveux épars, l’œil en feu, la poitrine haletante de sanglots, elle demandait à son amant s’il n’aurait pas souhaité, comme elle, de vivre des siècles ensemble, seuls sur une haute montagne, sur un roc aigu, au bas duquel viendraient se briser les vagues, de se confondre tous deux avec la nature et le ciel, et de mêler leurs soupirs aux bruits de la tempête ; et puis elle le regardait longtemps, lui demandant encore de nouveaux baisers, de nouvelles étreintes, et elle tombait entre ses bras, muette et évanouie.

Et quand, le soir, son époux, l’âme tranquille, le front calme, rentrait chez lui, lui disant qu’il avait gagné aujourd’hui, qu’il avait fait le matin une bonne spéculation, acheté une ferme, vendu une rente, et qu’il pouvait ajouter un laquais de plus à ses équipages, acheter deux chevaux de plus pour ses écuries, et qu’avec ces mots et ces pensées il venait à l’embrasser, à l’appeler son amour et sa vie, oh ! la rage lui prenait à l’âme, elle le maudissait, repoussant avec horreur ses caresses et ses baisers, qui étaient froids et horribles comme ceux d’un singe.

Il y avait donc dans son amour une douleur et une amertume, comme la lie du vin, qui le rend plus âcre et plus brûlant.

Et quand, après avoir quitté sa maison, son ménage, ses laquais, elle se retrouvait avec Ernest, seule, assise à ses côtés, alors elle lui contait qu’elle eût voulu mourir de sa main, se sentir étouffée par ses bras, et puis elle ajoutait qu’elle n’aimait plus rien, qu’elle méprisait tout, qu’elle n’aimait que lui ; pour lui elle avait abandonné Dieu et le sacrifiait à son amour,