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et s’appuya dans une niche de saint, vide en grande partie ; une figure seule restait, elle était grotesque et horrible à faire peur.

À côté d’elle, il était là, lui, son bien-aimé, celui qu’elle regardait si complaisamment, avec ses yeux bleus et ses grands sourcils noirs comme deux diamants enchâssés dans l’ébène. Il avait un lorgnon en écaille incrusté d’or, et il lorgnait toutes les femmes en se dandinant sur son fauteuil de velours cramoisi.

Djalioh était là, debout, immobile et muet, sans qu’on remarquât ni la pâleur de sa face ni l’amertume de son sourire, car on le croyait indifférent et froid comme le monstre de pierre qui grimaçait sur sa tête ; et pourtant la tempête régnait en son âme et la colère couvait dans son cœur, comme les volcans d’Islande sous leurs têtes blanchies par les neiges. Ce n’était point une frénésie brutale et expansive, mais l’action se passait intimement, sans cris, sans sanglots, sans blasphèmes, sans efforts ; il était muet, et son regard ne parlait pas plus que ses lèvres, son œil était de plomb et sa figure était stupide.

De jeunes et jolies femmes vivent longtemps avec un teint frais, une peau douce, blanche, satinée, puis elles languissent, leurs yeux s’éteignent, s’affaiblissent, se closent enfin ; et puis cette femme gracieuse et légère, qui courait les salons avec des fleurs dans les cheveux, dont les mains étaient si blanches et exhalaient une odeur de musc et de rose, en bien, un beau jour, un de vos amis, s’il est médecin, vous apprend que deux pouces plus bas que l’endroit où elle était décolletée, elle avait un cancer, et qu’elle est morte ; la fraîcheur de la peau était celle du cadavre. C’est la l’histoire de toutes les passions intimes, de tous ces sourires glacés.

Le rire de la malédiction est horrible, c’est un supplice de plus que de comprimer la douleur. Ne croyez donc plus alors aux sourires, ni à la joie, ni à la