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président au Parlement, avec ses peaux d’hermine et sa perruque à trois marteaux ; plus loin un cavalier allemand qui fait caracoler son cheval, dont la queue, longue et fournie, se replie dans l’air et ondule comme les anneaux d’un serpent ; enfin quelques tableaux de l’école flamande avec ses scènes de cabaret, ses gaillardes figures toutes bouffies de bière et son atmosphère de fumée de tabac, sa joie, ses gros seins nus, ses gros rires sur de grosses lèvres, et ce franc matérialisme qui règne depuis l’enfant dont la tête frisée se plonge dans un pot de vin jusqu’aux formes chamues de la bonne Vierge assise dans sa niche noircie et enfumée. Du reste les fenêtres, hautes et larges, répandaient une vive lumière dans l’appartement qui malgré la vétusté de ces meubles, ne manquait pas d’un certain air de jeunesse, si vous aviez vu les deux fontaines de marbre aux deux bouts de la salle, et les dalles noires et blanches qui la pavaient. Mais le meuble principal, celui qui donnait le plus à penser et à sentir, était un immense canapé, bien vieux, bien doux, bien mollet, tout chamarré de vives couleurs, de vert, de jaune, d’oiseaux de paradis, de bouquets de fleurs, le tout parsemé richement sur un fond de satin blanc et moelleux ; là sans doute, bien des fois, après que les domestiques avaient enlevé les débris du souper, la châtelaine s’y rendait, et, assise sur ces frais coussins de satin, la pauvre femme attendait M. le chevalier qui arrivait sans vouloir déranger personne pour prendre un rafraîchissement, car par hasard il avait soif ; oui, là, sans doute, plus d’une jolie marquise, plus d’une grande comtesse, au court jupon, au teint rose, à la jolie main, au corsage étroit, entendit de doux propos que maint gentil abbé philosophe et athée glissait au milieu d’une conversation sur les sensations et les besoins de l’âme ; oui, il y eut là peut-être bien des petits soupirs, des larmes et des baisers furtifs.

Et tout cela avait passé ! les marquises, les abbés,