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il y a je ne sais quoi de langoureux, et de roucoulant dans ces belles dents blanches qui se montrent pour sourire, dans ces cheveux blonds qui encadrent en larges boucles ce visage pâle et mignon ; il y a dans tout cela un parfum d’amour qui porte à l’âme une sensation délicieuse.

Ce n’était point une beauté méridionale et ardente, une de ces filles du Midi, à l’œil brûlant comme un volcan, aux passions brûlantes aussi ; son œil n’était pas noir, sa peau n’avait point un velouté d’Andalouse, mais c’était quelque chose d’une forme vaporeuse et mystique, comme ces fées scandinaves au cou d’albâtre, aux pieds nus sur la neige des montagnes, et qui apparaissent dans une belle nuit étoilée, sur le bord d’un torrent, légères et fugitives, au barde qui chante ses chants d’amour.

Son regard était bleu et humide, son teint était pâle, c’était une de ces pauvres jeunes filles qui ont des gastrites de naissance, boivent de l’eau, tapotent sur un piano bruyant la musique de Listz, aiment la poésie, les tristes rêveries, les amours mélancoliques et ont des maux d’estomac.

Elle aimait, qui donc ? ses cygnes qui glissaient sur l’étang, ses singes qui croquaient des noix que sa jolie main blanche leur passait à travers les barreaux de leurs cages ; et puis encore ses oiseaux, son écureuil, les fleurs du parc, ses beaux livres dorés sur tranche, et… son cousin, son ami d’enfance, M. Paul, qui avait de gros favoris noirs, qui était grand et fort et qui devait l’épouser dans quinze jours.

Soyez sûr qu’elle sera heureuse avec un tel mari, c’est un homme sensé par excellence, et je comprends dans cette catégorie tous ceux qui n’aiment point la poésie, qui ont un bon estomac et un cœur sec, qualités indispensables pour vivre jusqu’à cent ans et faire sa fortune. L’homme sensé est celui qui sait vivre sans payer ses dettes, sait goûter un bon verre de vin, pro-