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se jetait à ses pieds, l’appelait Arthur, et puis s’en retournait triste, désespérée, en disant : « Ce n’est pas lui ! il ne vient pas ! »

Et l’on disait : Oh ! la pauvre folle, si jeune et si belle, vingt ans à peine… et plus d’espoir !

C’était par une nuit belle, radieuse d’étoiles, toute blanche, toute azurée, toute calme comme la mer, qui était tranquille et douce, qui venait battre légèrement les rochers de la falaise.

Julietta était là, toujours rêveuse et solitaire, et puis, je ne sais si c’est un songe, mais Arthur lui apparut.

Arthur ! oh ! mais toujours froid, toujours calme.

— Je t’attends, lui dit Julietta, il y a longtemps que je suis au rendez-vous !

Sa voix tremblait.

— Assieds-toi avec moi, sur cette roche, ô mon Arthur, assieds-toi. Que te faut-il ? la lune est belle, les étoiles brillent, la mer est calme, il fait beau ici, Arthur… oh ! assieds-toi et causons.

Arthur s’étendit à côté d’elle.

— Que me veux-tu, Julietta ? lui dit-il, pourquoi es-tu plus triste que les autres femmes ? pourquoi m’as-tu demandé à venir ici ?

— Pourquoi ?… ô Arthur… mais je t’aime !

— Qu’est-ce ?

— Eh quoi ? quand je te regarde ainsi, tiens, avec ce sourire — et elle passa son bras autour de sa taille — quand tu sens mon haleine, quand de mes cheveux j’effleure ta bouche, eh bien, dis, est-ce que tu ne sens pas là, sur la poitrine, quelque chose qui bat et qui respire ?

— Non ! non ! mais tu es une femme, toi, tu as une âme, oui, je comprends ; moi, je n’en ai pas d’âme — il la regarda avec fierté — et qu’est-ce que l’âme, Julietta ?

— Que sais-je ?… mais je t’aime ! Oh ! l’amour !