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Que de fois, dans ce jour, elle courut après son troupeau ; que de fois elle revint se rasseoir, lasse et ennuyée, et là, penser, ou plutôt ne penser à rien ! Elle était oppressée, son cœur brûlait, il désirait quelque chose de vague, d’indéterminé, il s’attachait à tout, quittait tout, il avait l’ennui, le désir, l’incertitude ; ennui, rêve du passé, songe sur l’avenir, tout cela passait dans la tête de l’enfant, couchée sur l’herbe et qui regardait le ciel les mains sur son front. Elle avait peur d’être ainsi seule au milieu des champs, et pourtant elle y avait passé son enfance, se jouant dans les bois et courant dans les moissons ; le bruit du feuillage la faisait trembler, elle n’osait se retourner, il lui semblait toujours voir derrière sa tête la figure de quelque démon grimaçant avec un rire horrible.

Elle regarda longtemps les rayons rougeâtres du soleil qui diminuait de plus en plus, et qui décrivait, de place en place, des cercles lumineux qui s’agrandissaient, disparaissaient, puis revenaient bientôt ; elle attendit que la cloche de l’église eût fini de sonner, et quand ses dernières vibrations furent perdues dans le lointain, alors elle se leva péniblement, courut après son troupeau, et se mit en marche pour retourner chez son père.

Tout à coup elle vit, à une cinquantaine de as, une vingtaine de petites flammes qui s’élevaient de la terre ; les flammes disparurent, mais au bout de quelques minutes, Julietta les revit encore ; elles se rapprochèrent peu à peu, et puis une disparaissait, puis une autre, une troisième, et enfin la dernière qui sautillait, s’allongeait et dansait avec vivacité et folie. Les vaches s’arrêtèrent tout à coup, comme si un instinct naturel leur prescrivait de ne plus avancer, et firent entendre un beuglement plaintif qui se traîna longtemps, monotone, et puis mourut lentement. Les flammes redoublèrent, et l’on entendait distinctement des rires éclatants et des voix d’enfants. Julietta pâlit