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Enfin il s’arrêta dans son désespoir, s’étendit sur sa planche, ferma les yeux et pensa à Dieu.

Un rayon d’espérance vint briller dans sa tombe, il pensa à son âme dont il doutait depuis longtemps ; il crut à Dieu qu’il blasphémait tout à l’heure, et il espéra la vie dont il désespérait.

Il prêta l’oreille, entendit sur sa tête un bruit faible et léger, il lui semblait qu’on grattait la terre sur lui ; plus il écoutait, plus le bruit devenait fort. Il sourit de bonheur, joignit les mains et pria Dieu : « Oh ! merci ! merci ! tu m’as rendu la vie. Tu me la donnes donc, la vie ? je ne mourrai pas dans cette tombe hideuse et froide ? je mourrai, mais plus tard, car je ne serai vieux que dans bien des années ! Je vais vivre, la vie est à moi, ses délices, ses joies », et il pleurait de bonheur, il maudit son scepticisme d’homme du monde et ses préjugés impies : « Merci, merci, Dieu, de m’avoir rendu tout cela ! ».

Il entendit distinctement sur sa tête des pas d’hommes, on venait le délivrer, oh ! c’était sûr ! Quelque âme charitable aura eu pitié de son malheur, on se sera douté que dans cette tombe était un homme au lieu d’un cadavre, et on vient le déterrer, c’est tout simple, la chose est certaine, positive. Oh ! béni soit l’homme qui vient lui donner la vie ! Oh ! béni soit celui-là ! Son cœur battait avec violence, il riait de bonheur ; s’il eût pu, il aurait sauté de joie.

Les pas se rapprochèrent, puis s’écartèrent ; et tout redevint calme.

C’était le fossoyeur qui venait chercher sa pioche qu’il avait oubliée, et, comme il pleuvait, il craignait qu’elle ne se rouillât.

Un bon enfant, ce fossoyeur, qui fumait une petite pipe allemande, avait un chapeau de paille des montagnes, et aimait le vin du Rhin. Il avait l’âme charitable, car lorsqu’il vit un chien sale et couvert de boue, qui s’amusait à bouleverser la terre bénite, au