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hors de son lit, et ses bras étaient étendus hors de la couche. Bernardo s’en approcha et le remuant avec violence :

— Diable ! il a le sommeil dur !

Mais le corps céda aux mouvements de la main et retomba dans sa position première, comme un cadavre.

Bernardo pâlit, il prit ses mains, elles étaient froides ! il s’approcha de sa bouche, il ne respirait pas ! il mit ses doigts sur sa poitrine, pas un battement !

Il resta pâle et stupéfait, regarda les paupières et les ouvrit, pas un regard ! il ne vit que cet œil terne et à demi fermé qu’ont les morts dans leur sommeil.

Bernardo sortit de la chambre du médecin en courant, Berthe lui demanda ce qu’il avait, il ne répondit pas ; seulement il était pâle et ses lèvres étaient blanches.

Quelques heures après, une douzaine de médecins, tous tristes et calmes, entouraient le lit de leur confrère, et un seul mot errait sur leurs lèvres : il est mort !

Chacun s’approchait du corps inanimé, le retournait dans tous les sens, puis s’écartait avec horreur et dégoût en disant : il est mort !

Un seul d’entre eux osa croire que ce cadavre n’était qu’endormi, et manquant de preuves, il ne put appuyer sa prévision et finit par se rendre à l’avis des autres médecins.

C’était un de ces jours d’hiver tristes et pluvieux, une pluie fine battait dans l’air, et des flocons de neige blanchissaient les rues du village. Ce jour-là il était triste aussi, le village ! son père, son bienfaiteur était mort ! Les maisons étaient fermées, on ne se parlait pas, les enfants ne riaient plus sur la place, les hommes étaient attendris et l’on pleurait.

Le modeste convoi s’avançait vers le cimetière, beau de sa douleur ; quelques hommes, vêtus de noir,