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le paradis perdu

De ces hauteurs descendent des vallons étroits, dans lesquels on marche sur des ombres de feuillage percées de rayons, et sous des plafonds de verdure pleins de brise chuchotante, de chants d’oiseaux et de bruits d’ailes. Le demi-jour d’un tel vallon s’ouvre souvent sur un panorama ensoleillé, aux vastes pentes fleuries, fléchées de sapins bleu-noir ; ou en face d’eaux calmes dans lesquelles éclate, à peine adouci, le feu des couleurs environnantes.

En dépit de ces beautés, une vague mélancolie inonde cette terre des mânes. Presque toujours voilée de légères nuées rosâtres, la lumière, avec un charme indéfinissable, y chante et pleure en même temps. À cette poésie faite de nuances s’ajoute le murmure sombré des eaux souterraines. Elles se montrent par instants, ces eaux sauvages, dans une petite buée céruléenne, mêlée à l’ombre des anfractuosités ; elles se brisent dans les éboulis de pierres, lancent leurs gouttes lumineuses et disparaissent pour continuer, en s’éloignant sous terre, leurs rumeurs de trépassés.

Les fleurs elles-mêmes contribuent au mystérieux enchantement de cette nature, où le printemps est en permanence et a l’air aussi vieux que l’automne. Bien que brillantes, elles ont toutes des couleurs mures et vieillies qu’elles semblent avoir empruntées aux nuages du soir.

Dans ce séjour de rêve habitent aussi les ombres des animaux que leur légèreté presque aérienne rend