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MARIE-DIDACE

en avait l’habitude après le repas du midi, elle hésita avant de se diriger vers le magasin.

À côté une auto, — la sirène de cuivre en forme de cornet astiquée à fond, la capote luisante de laque noire, — étincelait. Objet d’orgueil pour le commerçant de Sainte-Anne, la voiture restait à la vue, les jours de beaux temps, à une juste distance du chemin, afin de permettre aux passants de l’admirer, sans toutefois encourir le risque d’effrayer les chevaux des clients. D’ailleurs, même lorsque les routes étaient sèches, elle lui servait rarement.

Angélina regarda le fleuve, avant de pénétrer dans le magasin. Au large, un transatlantique camouflé, tranchant à peine sur la couleur de l’eau, descendait le grand chenal. « Quelque bateau de soldats », songea Angélina, indifférente.

Haussant le pied, afin de ne pas s’accrocher au défaut du seuil qu’elle connaissait, Angélina entra dans le magasin. Le carillon de trois clochettes s’agita : l’une, claire, prenait toujours les devants ; les deux autres, plus graves, résonnaient plus longtemps. Il n’y avait personne. Angélina s’assit sur le banc, le long de l’unique comptoir. L’atmosphère chargée d’odeurs lui plaisait ; des odeurs poivrées, lourdes d’épices, lui arrivaient, par bouffées, de l’arrière-magasin ; d’autres odeurs plus fines, plus sucrées l’entouraient.