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PASSAGE DE L’HOMME

par-delà le Fleuve, bien qu’ils parlent la même langue que nous, ont des prénoms pourtant à eux, qui leur viennent des fonds du passé, et que nous ne pouvons pas vraiment dire. Les mots, ça n’est pas seulement une affaire d’habitude, c’est aussi une affaire de gosier, une affaire de dents et de lèvres, c’est affaire de l’homme tout entier. Lui, il riait quand nous nous essayions. Un jour il dit : « Allons, appelez-moi l’Homme, ce sera aussi facile ; et puis ce mot-là, c’est le seul mot de par ici qu’on dise comme au-delà du Fleuve ».

On aurait cru, d’abord, qu’il faisait tout pour se faire oublier, et même qu’il ne pensait qu’à ça. Je vous ai dit comment il marchait dans la maison, mais il parlait de même, juste en son temps, et pour dire tout juste ce qu’il fallait. Et il se levait, aux repas, un peu avant que ça ne fût nécessaire, pas trop avant. Et si le Père ou la Mère avaient quelque chose à raconter, qui n’était bon que pour nous quatre, il s’arrangeait pour être disparu. Pour être disparu et faire du bruit ailleurs, très loin, dans le bûcher, de façon que nous soyons tranquilles. Claire me disait — elle a toujours eu des mots à elle, des choses qu’elle trouvait et que personne d’autre n’aurait inventées — Claire me disait : « Tu verras qu’un beau jour on ne l’entendra même plus. Il