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PASSAGE DE L’HOMME

que je vous dérange. » Il baissa la tête. Sa capuche, derrière, était ouverte et comme toute pleine de vent encore. Il reprit : « Faut pas que je vous dérange… Je venais voir, en passant, si vous n’auriez pas, des fois, du travail pour moi… Des ravaudages… comme des harnais à réparer, ou des outils, ou des gouttières… Toutes les choses qu’on peut faire l’hiver… » Le Père n’avait pas coutume de répondre de suite. Il dit seulement « Asseyez-vous, mangez la soupe ! On verra ça après, à la veillée… » Le Père montra du doigt le haut bout de la grande table, la meilleure place : on avait le feu derrière soi. Claire apporta l’écuelle et la cuiller. Je mis une bûche dans la cheminée. L’homme retira sa cape et l’accrocha au clou, tout juste, où nous mettions les manteaux à sécher, et il s’assit sur l’escabelle. Il attendit que tout le monde se fût repris à manger pour manger lui-même. Le Père faisait grand bruit en aspirant sa soupe. Lui mangeait très silencieusement. Ma Mère le regardait parfois et elle fixait surtout ses mains.

Le Père dit : « D’où est-ce que vous venez ? » Il dit : « De par là, de par-delà le Fleuve, mais loin, très loin… Il y a cinq mois que je suis sur les routes. — Je savais bien, dit le Père, que vous n’étiez pas d’ici : nous autres,