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PASSAGE DE L’HOMME

là, et j’oubliais à le regarder, que quelqu’un d’autre, peut-être, aurait dû venir avec lui. Et même, il me semble parfois que s’il avait dit certains mots… Oui, je me dis ça à présent. L’Homme, peut-être que je l’ai aimé, que je l’aimais depuis toujours. Lui, en tout cas, ne savait rien de moi, et, ce soir-là, c’était bien assez de sa grande souffrance à lui, sur ses épaules.

« Geneviève, les Iles… » Il se tut, comme s’il hésitait, mais d’une hésitation qui n’était que pour moi, car lui, déjà, ne doutait plus et vivait la dure vérité. « Geneviève, les Iles n’étaient qu’un rêve. Et Dieu lui-même. » Il s’arrêta. L’horloge battait, le feu semblait devoir s’éteindre. Il se pencha pour le ranimer. J’allais parler, j’allais dire : ce n’est pas possible ; c’est là l’idée d’un mauvais temps, oui, d’un temps de découragement… une tentation. Mais ces mots-là, je ne pus les dire : au fond de moi, je savais qu’il avait raison. Tous les efforts que j’avais faits, depuis le début, pour croire en l’Homme, tous les petits et gros mensonges que je m’étais racontés à moi-même, que j’avais racontés aux enfants, m’apparurent dans une grande clarté. On s’était fait un monde plus beau que le monde, un monde rêvé ; on avait joué sa vie, comme des enfants, et voilà que, le temps aidant, on