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PASSAGE DE L’HOMME

« Et voilà, Geneviève, qu’ils ont emporté Claire elle-même. Deux jours durant, ils ont brûlé des herbes devant la porte pour conjurer le Mauvais Esprit. Et, la nuit, un prêtre chantait en agitant un éventail. Hier enfin, ils lui ont apporté, dans un coquillage nacré, de cette eau verte qu’on trouve dans les montagnes. Elle s’est soulevée, et elle a bu, et un moment après, elle parlait à voix haute, et très doucement, de son enfance. Elle parlait dans cette langue qu’elle avait oubliée, qui est la vôtre, avec des inflexions très pures, comme avant que je fusse venu. Elle m’entretint de toi, Geneviève et des parents, et aussi des gens du village. Et puis, m’attirant tout contre elle, elle me parla de notre amour, et de ce tout petit qu’elle s’en allait bercer au ciel.

« L’Homme, m’a-t-elle dit, il faut encore chercher les Iles. » Elle parlait de plus en plus bas. La voix du prêtre, à l’entrée de notre cabane, devenait plus sonore à mesure que la nuit tombait. Je crus entendre : « Il faut encore chercher les Iles », et puis, plus bas : « Je pense que notre erreur… » — « Que notre erreur ? » lui dis-je, et je pressai sa main, mais elle laissa tomber sa tête, me regarda un long moment — un tel amour, mon Dieu, une telle lumière, dans son regard ! — et