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PASSAGE DE L’HOMME

Tous les jeudis, il installait un tableau noir sur la grand’place. Il écrivait la date, en belles lettres moulées et, au-dessous : Morale, et cette maxime, toujours la même, que jamais je n’ai bien comprise ; « Le monde, en s’éclairant, s’élève à l’unité ». Il se tournait alors vers un public que nous ne voyions pas, et il disait : « Écrivez ! » Et il circulait de ci, de là, les mains au dos, sur la grand’place, comme parmi des bancs. Vers midi, il repartait avec son tableau, et après avoir frappé dans ses mains. Quelques enfants parfois, des tout petits, s’assemblaient pour le regarder, mais lui, il ne voyait personne. Les derniers jours, il écrivait n’importe quoi, des mots sans suite. Je me rappelle, je ne sais pourquoi, qu’il écrivit, un des derniers jeudis :

« Dieu + Orage = Où t’en vas-tu ? »

Il mourut un après-midi, un jour de classe, et sur sa chaire. Les huit gosses qui étaient devant lui, c’est à peine s’ils s’en aperçurent : il lui arrivait souvent de sommeiller après le repas. Ils lui lancèrent des boulettes pour le réveiller, et comme il ne remuait pas, ils s’approchèrent.