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PASSAGE DE L’HOMME

morts diminuaient, une grande folie de désir et de sang à quoi personne, ou presque, ne résista.

Nous dûmes quitter la Ferme de la Croix-Rouge : la vie m’y devenait impossible, et moins à cause d’un dur travail que des mauvais yeux du Fermier. Il me fallut aller de maison en maison, pour les lessives, le plus souvent avec la vieille Zulma. Nous habitions, près de l’église, une toute misérable maison, tombée maintenant, et dont le toit était percé. La Mère ne pouvait plus rien faire que tricoter. Encore parfois se levait-elle la nuit pour défaire ce qu’elle avait fait.

Des choses du monde, nous ne savions à peu près rien. On disait que plus rien n’allait, qu’il y aurait bientôt des guerres. Parfois, sur la berge du Fleuve, passaient des gens, en files interminables, et vêtus de costumes étranges, et qui soudain levaient les bras en l’air, et s’arrêtaient et poussaient un grand cri. Et, une nuit, il passa comme une procession. Il y avait des lanternes et des cierges. Et il montait de là, mêlé aux vents, un chant très doux. Puis un jour ce fut toute une armée, hommes et chevaux. Les hommes étaient immenses, à ce qu’il me sembla ; leurs uniformes étaient rouges ; et d’autres vinrent ensuite dans le roulement des canons, qui