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La Famille canadienne-française

familial ? C’est une autre note caractéristique de la famille canadienne que son admirable cohésion. Le climat, je le veux bien, y aide pour sa part, en tenant le foyer plus ou moins clos pendant six mois de l’année et par l’obligation où se trouvent les membres de la famille de vivre dans une intimité plus continue, dans une nécessité plus grande de compter les uns sur les autres. Il y a aussi la joie, l’allégresse contagieuse du nombre. Comme la famille canadienne est toujours nombreuse, il arrive rarement que la gaîté trouve à chômer. Ce n’est pas nous, je pense bien, qui avons fourni aux peintres et aux faiseurs d’estampes, le modèle de ces ménages classiques où deux époux grisonnants, assis près de leur feu qui baille, n’ont pour égayer leur solitude, que les gentillesses moroses d’un barbet mélancolique. Je l’ai dit ailleurs : « Quel splendide repas autour de la vaste table où, quand ils sont seuls, ils sont vingt-quatre ou vingt-six ». L’on apprend ainsi à se passer des distractions extérieures ; les joies de la famille suffisent à la famille. Sans doute, l’on n’évite point toujours les frottements douloureux, voire les commencements d’orage. Mais, comme dit Mistral dans Mireille : « Quand le soir de Noël, sous sa tente étoilée, réunissait l’aïeul et sa génération, devant la table bénie, devant la table où il préside, l’aïeul, de sa main ridée, noyait tout cela dans sa bénédiction. »

La cohésion vient aussi, pour une bonne part, du rôle de la ruche-mère à l’égard des jeunes essaims. Comment ceux-ci ne resteraient-ils pas étroitement attachés à celle que, par leur travail, ils ont contribué à soutenir, mais qui, à son tour, devient leur meilleur auxiliaire ? Puis, la cohabitation des vieux parents et de l’héritier maintient au foyer une force d’attirance que même la mort