Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
mes mémoires

l’homme nouveau : l’homme des conquêtes scientifiques et économiques. D’autres et parfois les mêmes s’interrogeaient sur l’aptitude d’une culture trop exclusivement française à la formation des générations prochaines. Les plus hautes autorités religieuses s’inquiétaient. Fallait-il réformer et quoi réformer ? C’est ainsi qu’un jour le délégué apostolique, alors Son Excellence Monseigneur Ildebrando Antoniutti, m’invitait chez lui à déjeuner. Récemment il avait eu, avec M. Victor Doré, en ce temps-là président de la Commission scolaire catholique de Montréal, une entrevue, à Ottawa même. Le président et le prélat avaient dû s’entretenir de réformes urgentes dans notre système d’enseignement. M. Doré que j’avais connu autrefois, alors que nous enseignions tous deux à l’École des Hautes Études commerciales, n’était pas loin d’en tenir pour le bilinguisme intégral dans l’enseignement primaire. Contre ses théories, en tout cas, s’insurgeaient une bonne partie des maîtres sous sa juridiction. J’avais eu l’occasion de m’en apercevoir, en décembre 1936, lors d’un Congrès des instituteurs catholiques de Montréal. Invité à y prononcer une conférence sur « L’Éducation nationale », j’y dénonçai, non sans véhémence, devant M. Doré, présent à la première rangée de l’auditoire, la nocivité d’un bilinguisme trop massif et surtout prématuré à l’école primaire. J’en appelais, ce soir-là, aux témoignages des pédagogues les plus réputés d’Europe et d’ailleurs. La vaste salle du Plateau était comble. Un tonnerre d’applaudissements accueillit mes paroles. On pourra lire le texte de cette conférence dans mon volume Directives. Ainsi, à une date qu’il m’est impossible de fixer exactement, mais qui pourrait s’établir fin de 1939 ou début de 1940, j’allais déjeuner à la Délégation apostolique à Ottawa. Le Délégué m’avait croisé quelque temps auparavant dans l’un des corridors de l’Archevêché d’Ottawa. Et il m’avait dit : « Je voudrais vous voir, vous. Je voudrais causer avec vous de nos problèmes d’enseignement dans le Québec. »

Je lui avais répondu : « Je suis entièrement à votre disposition, Excellence. Il me serait impossible d’accepter votre invitation aujourd’hui même. J’ai fini, pour le moment, mes recherches aux Archives ; il me faut rentrer ce soir, à Montréal. À mon prochain retour à Ottawa, si vous me le permettez, Excellence, je