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mes mémoires

Villeneuve se mit en frais de rédiger un mémoire personnel à Pie XII. « Mémoire extrêmement grave, une revue complète de notre situation religieuse, me dit Mgr Langlois, quelque chose comme le testament spirituel du Cardinal au Saint-Père. »

— Serait-il possible, demandais-je tout de suite, d’obtenir une copie de ce mémoire ?

— Non, me répond mon ami, c’est un mémoire absolument secret ; nous ne sommes que quelques évêques qui en aient pris connaissance…

En tout cela, je ne procède, on le voit, que par divers recoupements. Mais, dans le temps, on ne m’a pas laissé ignorer jusqu’à quel point le Cardinal s’inquiétait des allures de l’Archevêque de Montréal. Un jour même, il dit à Mgr Courchesne : « Où s’en va-t-il, celui-là ? » L’Archevêque et le Cardinal ne vivent pas d’ailleurs dans les meilleurs termes. L’Archevêque ne pardonne pas à Son Éminence ses fougueuses interventions dans la guerre. Il ne lui pardonne pas surtout d’être venu frapper, par-dessus sa tête, deux de ses diocésains, Léopold Richer, correspondant parlementaire du Devoir à Ottawa et Henri Bourassa. J’ai l’occasion de m’en rendre compte lors d’une de mes visites à l’Archevêché de Montréal. Je partais pour une série de cours d’histoire à Saint-Boniface (Manitoba). Je possédais de Mgr Bruchési et de Mgr Georges Gauthier une permission générale d’aller parler où bon me plairait. Je crus opportun, néanmoins, en toute courtoisie, de mettre mon nouvel Ordinaire, au courant de mon voyage dans l’Ouest. Il en profita pour me servir une sortie violente contre le Cardinal. Sans doute, me croyait-il toujours en intimité parfaite avec Son Éminence ; et il n’eût pas été fâché que ses propos prissent le chemin de Québec. Je le vois encore debout devant moi, le poing fermé, la figure convulsée, me dénonçant l’enfantillage du Cardinal se laissant photographier, le sourire aux lèvres, au volant d’un char d’assaut. Et revenant au cas de Bourassa et de la censure que lui avait administrée le Cardinal : « M. le Chanoine, ce n’est pas la manière ; on ne frappe pas un homme de cette espèce sans l’entendre. L’autre jour, j’appris que l’un des fils de M. Bourassa allait recevoir l’ordination sacerdotale au Scolasticat de