Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
mes mémoires

vernée depuis trop longtemps par des évêques malades : Mgr Bruchési, puis Mgr Georges Gauthier, puis Mgr Deschamps l’auxiliaire, cherche un évêque jeune, valide. Son choix tombe sur l’évêque de Hearst. Le 18 mai 1940, le jeune évêque est promu archevêque titulaire d’Amorio et coadjuteur à Montréal avec future succession. Accueilli froidement à son nouvel archevêché, Mgr Charbonneau fait sur le peuple une très forte impression. L’homme est de haute stature et il en prend avantage. On admire son maintien digne, presque majestueux, sa mine ascétique. En quelques mois, la mort qui a déjà emporté Mgr Bruchési en 1939, emporte Mgr Gauthier et son auxiliaire, Mgr Deschamps. Le nouvel élu a donc, en peu de temps, devant lui, le champ libre. Il se met à l’œuvre, se dépense fébrilement. Le petit, le très petit milieu de Hearst semble avoir trop retenu ses forces, sa soif d’activité. Il se donne libre cours. Action un peu fiévreuse, désordonnée. Il voudrait toucher à tout ; il va vite. Activité forcément superficielle qui fera que nulle grande œuvre ne retient son nom. Pourtant il pose un acte qui aurait pu ordonner, transformer son action d’évêque. Un homme vient de rentrer dans le diocèse de Montréal qui l’avait quitté depuis 1930. Homme de première main, de la vraie taille des chefs de diocèse : l’abbé Philippe Perrier. Homme inutilisé, toujours tenu à l’écart par ses supérieurs, on ne lui avait offert, à son retour de Joliette, que l’aumônerie des Frères de Saint-Benoît au bout de l’Île de Montréal. Quand il avait quitté sa cure du Saint-Enfant-Jésus (Mile End), il avait choisi de s’en aller au Scolasticat des Viateurs, à Joliette, y enseigner les sciences ecclésiastiques. Départ inexplicable et regrettable d’un homme en état de rendre encore de si grands services à son diocèse d’origine ; départ qui avait scandalisé bien des fidèles et non des moindres. Un jour, pour répondre aux critiques et en avoir le cœur net, je lui avais posé cette question :

— Quand vous avez quitté votre cure, vous a-t-on offert quelque autre poste dans votre diocèse ?

— Aucun.

— A-t-on tenté quelque effort pour vous retenir ?

— Aucun.

Avais-je attiré l’attention de Mgr Charbonneau sur l’aumônier de Saint-Benoît ? Au cours de notre conversation, à propos