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mes mémoires

de nouveaux arrangements d’honoraires avec l’Université ; je m’engageais à lui donner tout mon temps. Pouvais-je décemment demeurer directeur d’une revue ? Je retournais à l’Histoire que peut-être je n’aurais jamais dû négliger. Mgr Gauthier, ajoutai-je à Mgr Béliveau, ne fut pour rien en l’affaire. Bien mieux. Lorsque j’abandonnai la direction de la revue, mes collègues de la Ligue me prièrent avec instance de faire partie du Comité de direction. Mes récents engagements envers l’Université m’en laissaient-ils le droit ? J’allai voir Mgr Gauthier ; je lui exposai le cas. L’administrateur apostolique me répondit, sans broncher, avec sa rondeur habituelle :

— Mais oui, mais oui, mon cher fils, et continuez de donner à vos collègues une direction énergique !

Réponse textuelle. J’en garantis le mot à mot. Je dois, du reste, cet hommage à mes supérieurs ecclésiastiques : il se peut, il est même plus que probable qu’ils n’aient pas toujours goûté ni mes articles, ni mes discours, ni mes gestes. Certes, ne m’ont-ils jamais beaucoup prodigué félicitations ou approbations. Ils ne m’ont jamais grondé ni inquiété. J’ai pu agir en toute liberté. Et j’écris ceci à l’usage des jeunes catholiques volontiers anticléricaux qui se plaignent fréquemment des ingérences ecclésiastiques.

On aurait également tort d’imputer à cette démission dont je viens de parler, la disparition de l’Action canadienne-française. Cette disparition, quoi que l’on ait dit, tient à une tout autre cause. D’abord, il me faut bien constater qu’après mon départ, à la suite de ma démission à la direction de la revue, mes collègues paraissent par trop désemparés. Ils commettent en outre la faute de ne me point donner de successeur. L’Action canadienne-française n’est plus qu’une revue rédigée en collaboration : ce qui est bien la formule la plus funeste pour un périodique. Puis, Albert Lévesque, pressé, trop pressé, sans doute, de résorber le passif que l’achat de l’œuvre l’a contraint d’assumer, s’est mis à pousser le plus qu’il peut « les affaires ». On s’en rendra compte, rien qu’à parcourir les derniers volumes de la revue, par la place toujours de plus en plus large qu’y prend « l’Âme des livres », c’est-à-dire la publicité de la Librairie. Pendant les premiers mois,