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mes mémoires

rope, l’œuvre prend son plus remarquable essor. Un jour vient, hélas, où la mesure comble, Perrault exige — c’est en mai ou juin 1924 — le congédiement de Lafortune qui retourne au Devoir. Péniblement nous lui trouvons un successeur. Un jeune diplômé de l’École des Hautes Études commerciales se noie proprement dans l’œuvre qui a pris trop d’ampleur pour un gérant sans expérience. Enfin, après d’autres insuccès, nous finissons par nous rabattre, vers la mi-janvier de 1925, sur un commis de l’une des grandes librairies de Montréal. Je ne nommerai pas ici ce Monsieur et pour cause. Hélas, ironie des choses ! Cette dernière nomination à la gérance de l’Action française nous attire dans le temps les plus chaudes félicitations de la clientèle ecclésiastique de la grande librairie d’où il nous est venu et qu’apparemment il servait bien. L’Action française n’aura pas à se congratuler aussi chaudement.

Trahison au-dedans

Ledit Monsieur n’est à notre service que depuis une quinzaine de mois qu’un jour, en mars 1926, je reçois la visite d’un jeune employé de l’Action française, à notre emploi, depuis le temps de Lafortune. Il entre chez moi en grand secret, se disant obligé à sa démarche par devoir de conscience. « J’ai de bonnes raisons de croire, me dit-il, que vous vous faites voler à l’Action française par le gérant et un comparse à lui. Tous deux, à ce que je puis voir, ont institué, au sein de votre œuvre, une compagnie concurrente qui absorbe une partie au moins de vos affaires et de vos profits. » Je fais une tête ! Tout un drame policier s’amorce. Le jeune homme m’a demandé secret absolu sur sa démarche. Je lui pose pourtant cette question :

— Me permettez-vous, avec garantie de secret absolu et sans mêler votre nom à l’affaire, de mettre au courant M. Anatole Vanier ?

Sur acquiescement, j’appelle tout de suite au téléphone M. Vanier qui, lui non plus, n’en croit pas ses oreilles.

— Donnez-moi une petite demi-heure, me répond-il. Je cours au greffe de la Cour supérieure. Si telle compagnie existe, elle a dû s’y inscrire.