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mes mémoires

Si quelque étranger se fût alors penché sur notre vie pour l’ausculter, malgré lui, ce me semble, il eût évoqué la silhouette des vieux moulins féodaux dont les rares survivants s’aperçoivent encore dans nos campagnes. Ils restent debout sur leurs assises de pierre, dans leur maçonnerie apparemment invulnérable. L’oreille penchée sur eux, l’on y croit percevoir quelque vague rumeur, l’écho lointain d’un passé ardent. Illusion ! La vie n’est plus en eux ; elle les a bien désertés. La dissolution, morsure des gelées et des pluies, se faufile sournoisement entre chacune de leurs pierres. La tempête fait gémir leur vieille charpente. Mais surtout leurs larges antennes qui, d’un mouvement si triomphal, tournoyaient sous le grand soleil et dans les étoiles, le vent les a broyées puis emportées, ou elles restent là, rigides, comme les ailes d’un grand oiseau mort.

Pourtant l’histoire demeure qui peut tout réparer. Par elle s’établit, entre les hommes, le lien collectif qui leur apprend leur fraternité ethnique. Elle encore, qui, en faisant voir les lignes, l’architecture de la maison des ancêtres, guide l’effort collectif. Un extrait va définir, une fois de plus, ma conception de l’histoire en ce temps-là, et le rôle presque mystérieux que je lui assigne :

Sans l’histoire, nous ne garderions, dans le mystère de nos nerfs et de notre sensibilité, que de vagues tendances, des vestiges presque informes de la vie et des héroïsmes anciens. Là s’arrêterait la transmission parcimonieuse du sang, anéantissant peu à peu tant d’efforts séculaires pour amener jusqu’à nous l’âme enrichie des aïeux. Il n’existe point, en effet, d’hérédité spirituelle ou morale proprement dite ; tout au plus de simples dispositions conséquentes à l’hérédité physique. Mais voici que vient l’histoire, passé et traditions recueillis et condensés. Tout le butin glorieux glané par elle le long des routes de la patrie, elle peut le porter à toutes les intelligences, faire entrer les moindres fils de la race en possession de leur patrimoine spirituel, les tenir en relations suivies avec les meilleurs des ancêtres, leur recomposer indéfiniment l’atmosphère morale où vivaient les héros.

Un devoir s’impose donc : rendre hommage à notre histoire « qui justifie si magnifiquement notre idéal de vie » :

Quand Hector, fils de Priam, eût succombé, et, avec lui, la fortune troyenne, on recueillit les cendres du chef « au casque