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mes mémoires

En ce contexte, qui ne s’expliquerait mon appel à la jeunesse, invitation à faire sienne la consigne de « Notre avenir politique » ? Consigne qu’il eût fallu lire précisément dans le contexte où elle se trouve. Mais depuis quand, dans la politique et dans le journalisme partisan, se donne-t-on la peine de cette loyauté ? Tous ceux-là qui, pour des motifs divers, avaient besoin de combattre l’Action française, jugèrent beaucoup plus simple et beaucoup plus effectif de nous accuser de séparatisme, oubliant à quelle enseigne, pour leur imprévoyance et leur servilité, logeaient, en ce temps-là, les fauteurs inconscients mais authentiques du séparatisme.

Encore cette fois je viens de me relire. Un doute m’assaille : ai-je bien découvert, en 1922, tout le fond de ma pensée ? Avais-je alors tant peur de prôner l’indépendance du Québec ? N’ai-je pas plutôt saisi l’occasion qui m’était offerte d’exprimer, avec les réticences qui s’imposaient, ma véritable aspiration en l’avenir politique et national de notre petit peuple ? À trente ans de distance je me souviens mal, sans doute, de mon exacte façon de penser en 1922, sur le grave sujet. Mais j’ai toujours cru d’une foi si faible, en l’avenir de la Confédération, et surtout à un redressement possible par l’énergique réaction de notre députation canadienne-française à Ottawa. Certes, je ne voulais point d’une indépendance prématurée. Pour oser seulement la souhaiter, même à longue échéance, nous nous sentions à l’époque, si freinés, si ligotés par l’opinion générale. Nous avions affaire à tant de timorés, à tant de résignés en la bienheureuse et centenaire servitude. En 1920 et longtemps après, les Canadiens français et leurs chefs spirituels et temporels considéraient le colonialisme comme un régime normal et quasi permanent par essence. Oser parler d’indépendance, même pour le grand Canada, propos qui prenait les proportions d’une abominable témérité, digne de tous les anathèmes. Et pourtant, il me faut bien en convenir, au fond de moi-même, et depuis assez longtemps, je nourrissais l’affreuse aspiration. Ma Croisade d’adolescents, qui est de 1912, mais qui fait allusion à un enseignement bien antérieur à cette date, m’enlève tout moyen d’en disconvenir. Dans les années 1901-1906, je disais des choses comme celles-ci, à mes jeunes croisés de Valleyfield : « … si dans ce vaste chaos de peuples, il se trouve un groupe dont le territoire possède l’unité