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mes mémoires

Pour votre voyage en Italie, j’aimerais bien que vous le fissiez avant de nous revenir, afin qu’il fût bien court. Quant à celui d’Angleterre, si vous n’y allez que pour attaquer les Ministres, cette conduite sera peut-être dangereuse et vous compromettra ici : le problème est peut-être plus difficile que vous ne le pensez. Je ne sais pas si vous devez de suite décidé[sic] de faire une opposition directe et absolue au Gouverneur et si une marche plus lente, ne serait pas à la fois plus juste et plus sûre. Pesez bien le pour et le contre.

Mais lui-même, le séduisant Lactance, que deviendrait-il ? L’exil, avec ses misères concomitantes, ne risquait-il pas d’affecter, de façon dangereuse, le tempérament de cet impressionnable idéaliste ? Le séjour à Paris, encore qu’il l’ait enchanté par divers aspects, lui a été dur. L’étudiant a beaucoup souffert de la pauvreté familiale. Louis-Joseph Papineau est parti pour l’exil avec un porte-monnaie maigrement garni. Ses honoraires de président de la Chambre ne lui ont pas été payés depuis 1832, c’est-à-dire depuis la grève des subsides. Son père, mort en 1841, ne lui a laissé que la Petite-Nation, seigneurie encore inculte, à peine entamée par la colonisation. À Paris, l’exilé connaîtra la gêne. Incapable de payer leur pension en quelque maison d’enseignement, lui et Madame Papineau devront se constituer les instituteurs de leurs jeunes enfants.

Au surplus, ses malheurs n’ont pas guéri le grand homme de l’aigreur ni de l’excitabilité qu’ont développées en lui trente années de luttes politiques. Trop naïvement, sans doute, il s’était donné une mission en France : intéresser, si possible, le gouvernement de Louis-Philippe aux infortunes de ses compatriotes, obtenir, en faveur de son pays, quelque intervention diplomatique ou autre. Son échec l’a mis en face d’une vie, d’un exil sans objet. Papineau est devenu le lion en cage. En 1843, Madame Papineau se rembarque pour le Canada avec ses plus jeunes enfants. Dans une lettre au Dr O’Callaghan (5 mai 1843) où il lui annonce le « déchirement douloureux » qu’il éprouve de cette nouvelle séparation de sa famille, l’exilé attribue ce départ