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quatrième volume 1920-1928

quin ; que ce soient les entreprises les plus vastes qui tentent notre activité, et la stimulent.

Un autre jour, il reprendra ce même thème :

Je ne cesse de te répéter — ce que tu ne veux pas admettre — que nous ne devons pas nous contenter d’être autant ou plus que d’autres jeunes gens de notre âge, et de notre pays, mais viser à acquérir un mérite intrinsèque, dont nous puissions nous rendre le témoignage et qui nous crée une valeur, une compétence certaine.

Vers ce même temps, comment ne pas admirer sur l’avenir de son père ou mieux sur l’orientation prochaine de la vie du tribun, la clairvoyance de l’étudiant ? S’il décide de rentrer au pays, quelle conduite, quel comportement politique adoptera Louis-Joseph Papineau ? On s’interroge là-dessus dans le grand public au Canada. On s’en inquiète anxieusement dans sa parenté et dans sa famille. Un, entre peu d’autres, a vu clair. Et plût au Ciel que, pour sa gloire, le tribun se fût résigné à l’avis de celui-là. Et ce sage, ce fut le fils Lactance. À l’encontre de son frère Amédée, il voit son père rentrant d’exil, sans bruit, disant adieu à la vie politique, puis, allant s’enfermer dans l’intimité familiale et ce, à titre de seigneur colonisateur. C’est par là que Papineau refera la fortune des siens et jouera le rôle le plus utile. Lactance écrit à Amédée :

Avec de telles entraves [il veut dire l’instabilité et l’imbroglio politiques des années 1843-1848] et des circonstances aussi bizarres, quel rôle veux-tu que Papa joue… ? J’imagine, moi, que Papa devrait se rendre incognito à la Petite-Nation, que son séjour au Canada fut le secret de sa famille, et que, au moins officiellement, il y demeure inconnu.

Cette opinion bien arrêtée, Lactance l’exposera à sa mère :

N’avons-nous pas toujours vécu dans la misère ou dans un état de gêne plus ou moins grand ? Vingt-cinq mille louis peuvent se dépenser plus aisément en France que mille au Canada. Papa n’a donc rien de mieux à faire que d’aller diriger ses affaires à la Petite-Nation (lettre du 21 mai 1844).

Ce rôle effacé, au moins momentanément, Lactance ne craindra pas de le conseiller à son père et de lui prêcher la sagesse politique. De retour au Canada, il écrit à l’exilé le 26 octobre 1844 :