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mes mémoires

Puis, voici tout de suite les réserves. L’admiration des Américains ne doit pas conduire au mépris, encore moins à l’abandon de la culture originelle :

Pourquoi aussi, écrit-il encore à son frère, veux-tu renier la source d’instruction, de finesse dans l’esprit, de goût dans les actes qu’est notre vieille patrie ; elle marche encore comme toujours depuis François Ier à la tête de la civilisation Européenne. Pourquoi veux-tu accroître les préjugés des Américains des É.-U. ?… lancer les Canadiens à la suite de leur mépris pour les autres et de leur suffisance absurde et puérile sur la supériorité qu’ils croient à leur pays sur tous les peuples du monde ? Mesquine vanité qui engendre mille préjugés trop faciles à réfuter, car la civilisation, et celle de l’Europe, commencée par la Grèce et par Rome, est le produit de milliers d’années.

Et voici après cela, la mise en garde suprême, à la fois intelligente et fière :

Surtout, ne commettons pas le suicide ; ne perdons pas notre valeur foncière.

Valeur foncière qu’il ne laisse pas de décrire :

J’aimerais mieux democratiser qu’americaniser le Canada. Je regretterais beaucoup d’efforts stériles, et j’oserais dire, funestes, pour détruire chez nous tout ce qui y demeure de beau et de bon du caractère français. Nous y courrions le risque de mal employer un temps précieux. Nos mœurs privées sont supérieures à celles des Américains. Je ne comprends [pas] que tu sois si aveugle sur une telle évidence. Notre hospitalité, notre politesse sont louées par tous les étrangers… Pourquoi donc veux-tu détruire ces charmes de la vie privée, qui en sont les plus vrais éléments du bonheur ? Tâchons, au contraire, de les rendre encore plus vifs par une bonne éducation des femmes.

Apprenons après cela comme ce Lactance Papineau rêve grand pour son pays. Avec quel ambitieux idéalisme il souhaite se préparer à le servir. C’est encore, au cours de cette même discussion, qu’il adresse à son frère cette pressante exhortation :

Nous demeurerons d’accord, au moins je l’espère, sur le but et les moyens de favoriser le développement des puissances naturelles et intellectuelles de notre pays. Preparons-nous-y par de fortes études. Ayons l’âme forte et généreuse, sans calcul mes-