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mes mémoires

Dans le cas où vous accepteriez le petit article que je vous envoie, pourriez-vous me rendre le service de le relire avant de l’envoyer à l’impression et de le corriger là où vous en verrez la nécessité ?

Je ne résiste pas à l’envie de citer quelques extraits des premiers essais du jeune littérateur. On y apercevra, ce me semble, quelle œuvre de grand style eût pu produire ce débutant de vingt-trois ans, sans les ravages que le journalisme, pour lequel il n’est point fait, va opérer en ses facultés. Dans son article sur « La nationalisation de notre littérature par l’étude de notre histoire », notons d’abord des prises de position de si grand bon sens :

La littérature canadienne-française trouvera son existence et sa perfection dans l’originalité de notre âme nationale… Il paraît bien que le premier devoir littéraire de l’heure est l’affirmation de notre personnalité distincte… H. Taine apprit, autrefois, à ses compatriotes en mal de systèmes politiques imités de Londres, que « l’âme d’un Français n’est point l’âme d’un Anglais »… Une plante étrange croît dans les régions tièdes de l’Équateur ; ses branches se courbent, touchent le sol et poussent des racines qui donnent naissance à des tiges nouvelles ; chaque arbuste reçoit de la terre, d’abord, une sève nourricière, puis, par les mille canaux entrecroisés, une circulation de la même vie rayonne à travers la forêt. C’est un symbole révélateur… Habitués aux perfections de la littérature française qui nous rendent sympathiques des objets étrangers, nous ne nous plaisons plus dans la contemplation de nous-mêmes, et les beautés de notre pays nous sont indifférentes, presque inconnues… Les livres français sont l’unique aliment de notre esprit. « Au lieu de choisir dans la pensée de France et de l’accueillir comme une éducatrice, nous nous en sommes forgé un vasselage », suivant la formule de M. l’abbé Groulx.

Je cite encore sa conclusion. À l’adresse des pessimistes — il y en avait en ce temps-là ; il y en eut toujours — Léo-Paul Desrosiers brosse ce tableau d’histoire en traits ramassés et d’une beauté tragique :

Que les jours soient proches où les enfants pourront s’émouvoir aux seuls livres de leurs pères. Notre histoire n’apprend pas à craindre l’existence de pionniers intellectuels… Les écrivains usent leurs forces dans le double souci du pain quotidien