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ticiens, surtout les nôtres d’Ottawa. Pour ma part, et je l’avoue sans plaisir, nos représentants, dans la capitale fédérale, ministres, sénateurs, députés, fonctionnaires, m’ont toujours paru, à peu d’exceptions près, faire œuvre de trahison. Trahison consciente ou inconsciente ? L’épithète importe peu. Ils auront été, depuis 1867, par étroite partisannerie, par ignorance le plus souvent, puis surtout par absence d’esprit national et d’esprit politique, ils auront été, dis-je, ce que l’on dénommerait aujourd’hui, avec ce que le mot comporte d’infamant, particulièrement en France depuis la dernière guerre, des « collaborateurs », c’est-à-dire d’aveugles ou stupides associés au service de la majorité anglo-canadienne. On ne me fera pas croire, en effet, que cinq à six ministres dans le cabinet, une vingtaine de sénateurs, une soixantaine de députés canadiens-français, le moindrement intelligents et doués d’esprit public et de courage, auraient laissé tourner la Confédération comme elle a tourné contre leurs compatriotes. J’ai souvent dit : « Imaginez une soixantaine de députés juifs à Ottawa défendant les droits d’une province qui serait la leur. Ou, si la comparaison paraît excessive, pensez plus simplement à des députés irlandais, champions de la même cause ; et dites-moi quelle tournure aurait pu prendre l’histoire ! »

Je me rappelle, à ce propos, une visite que me faisait, un jour, rue Sherbrooke, un M. Molson, député aux Communes anglaises. Il désirait savoir les causes de froissement entre les deux groupes ethniques au Canada. En réponse je lui fis une description du fâcheux traitement que l’on nous inflige au gouvernement d’Ottawa. Je lui peignis notre déplorable situation économique depuis 1760. Ce M. Molson m’écouta avec beaucoup de sympathie pour me répondre du ton le plus tranquille :

— Mais, M. l’abbé, vous avez plus qu’une soixantaine de députés et de sénateurs à Ottawa ; vous êtes maîtres du gouvernement de votre province, maîtres du gouvernement de vos grandes municipalités. Alors…

Cet « alors » voulait dire : De quoi vous plaignez-vous ? Jules Fournier a écrit un jour d’écœurement : « Rien n’est plus lâche à Ottawa qu’un député canadien-français. » Plus tard, Léo-Paul Desrosiers, au même poste, mais plus calme, a écrit presque la