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Les camarades qui venaient au bureau étaient, comme moi, désemparés.

« Nous aurions dû faire quelque chose ». Mais quoi ? On ne s’oppose pas à un tel cataclysme lorsqu’on n’est qu’une poignée.

Les anarchistes n’avaient jamais su créer une organisation capable de les unir entre eux, leur permettant de se trouver et de se concerter en cas de nécessité. Inorganisés, trop peu nombreux, s’étant toujours tenus à l’écart de la masse, ils étaient complètement réduits à l’impuissance.

Je reçus bien une lettre de Pierre Martin me convoquant au Libertaire pour y discuter et « délibérer » sur ce que devaient faire les anarchistes.

Le pédantisme de P. Martin m’était insupportable. Je n’avais qu’une confiance limitée dans son entourage. Je lui répondis qu’il était inutile de se réunir pour constater son impuissance. Qu’il n’avait pas à compter sur moi. Le résultat de leurs délibérations dut être ce que j’avais prévu ; car je n’ai pas vu qu’ils aient fait ou tenté quelque chose.

« À faire » ! Sans doute, il y avait à faire.

Puisque le peuple allait être appelé à toutes sortes de restrictions et de sacrifices, il aurait été de toute justice qu’il réclamât une part de contrôle sur les mesures à prendre. Puisque toute la vie sociale allait être bouleversée, c’était le moment d’exiger une place dans l’administration de ses affaires.

Il était à prévoir que spéculateurs et agioteurs allaient profiter des circonstances pour « faire leur beurre ». Tous les petits boutiquiers de Paris — cela avait dû se passer de même ailleurs — n’avaient-ils pas augmenté leurs prix dès le lendemain de la déclaration de guerre ? On aurait dû exiger que le gouvernement fît main-basse sur tous les produits de première nécessité pour les revendre lui-même au prix coûtant, augmenté seulement des frais de gestion. On avait mobilisé les hommes pour les envoyer se faire tuer. On avait mobilisé chevaux, voitures automobiles. En certaines localités, on avait réquisitionné des hôtels pour en faire des hôpitaux. Pourquoi ne mobilisait-on pas les