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velles, de romans, et établi tout le brouillon des Aventures de Nono. Je fis filer cela sans déranger l’administration, sans m’attarder à une autorisation aléatoire.

Être enferme des semaines, des mois, entre quatre murs, surtout lorsque vous savez que l’on arrête continuellement ; que parents, amis le sont peut-être déjà, c’est tout de même de sacrés moments à passer.

Il y avait bien Saint-Auban, mais il n’avait pas à s’occuper que de moi. C’était une bouffée d’air frais qui me venait lorsqu’il me rendait visite. Mais, pour ma satisfaction, ses visites étaient trop rares.

Un jour, je fus appelé au parloir. C’était Mme Benoît qui, enfin, avait obtenu l’autorisation de me voir.

Ce que je craignais s’était bien produit. La police, à l’occasion d’une nouvelle rafle, les avait visités. C’était le commissaire de police du quartier qui menait l’opération. Ce n’était pas un mauvais diable. « Je sais que vous ne vous occupez de rien, dit-il à Benoît, je vais vous garder à mon bureau et demander des instructions ».

Mais, malgré ses bonnes intentions, ordre lui fut donné de conduire son prisonnier au Dépôt.

Le troisième ou quatrième jour, il fut interrogé par Cochefert, qui lui demanda :

— Pourquoi vous a-t-on arrêté ?

— Je n’en sais rien. Parce que je suis le parent de Grave, je suppose.

— Ça doit être cela, en effet, fit l’autre.

Le soir même il fut relâché.

Par ma visiteuse j’avais enfin des nouvelles de ceux que nous connaissions. Ceux qui étaient arrêtés. Ceux qui étaient encore en liberté. La pauvre Révolte avait vécu. Mercier, aidé de Gauche, avait essayé de continuer après mon arrestation, mais dut lâcher après neuf numéros. Toute la correspondance était saisie à la poste, le journal ne servait que de traquenard.

Un autre jour, je reçus la visite de Bernard Lazare. C’était assez courageux de sa part d’affirmer ainsi ses sympathies, car, au cours de notre conversation il m’apprit que, dans les sphères gouvernementales, on envisageait, si nous étions condamnés, de nous expédier dans un des endroits les plus malsains de l’Afrique et de procéder à d’autres fournées dont bénéficieraient les littérateurs et