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Sadier avait réuni quelques amis pour lui souhaiter la bienvenue et le mettre en garde contre les désillusions et déceptions.

Loin de toutes communications, ils seraient livrés au bon plaisir des estancieros (gros fermiers) et de la police. Déjà des milliers d’infortunés avaient payé cher la faute d’avoir cru aux mensonges des agents d’émigration, et succombé aux fatigues et aux privations.

Mais Vaillant, plein de ses rêves, ne voulut pas se laisser convaincre. Lui et ses compagnons furent expédiés à Azul, petite ville de 50 000 habitants, mais à 350 kilomètres de la capitale.

Et là, au lieu de trouver les moyens promis pour coloniser, ils furent abandonnés à eux-mêmes. Tant et si bien qu’ils furent obligés de se louer pour un salaire de famine. L’agent d’émigration qui les avait conduits avait disparu.

Un certain comte de Weechy, venu, comme par hasard, à Azul, les embaucha pour cultiver des terres qu’il possédait au Grand Chaco, leur faisant les plus alléchantes promesses.

Mais, arrivés au lieu de destination, là, encore une fois, les promesses furent tout aussitôt oubliées.

Le comte vendit ses terres et les colons par dessus le marché, à une compagnie anglaise. La société commença par vendre aux colons les vivres à des prix exorbitants, Comme ceux-ci n’étaient pas riches, c’était la misère et les privations.

Il existait une loi, — peut-être existe-t-elle encore — qui faisait le colon esclave des estancieros, ou des usines où ils étaient embauchés.

Ne voulant pas crever de faim, Vaillant et un de ses compagnons, nommé Gérard, réunirent les colons, et, se mettant à leur tête, s’en furent à l’administration sommer le directeur d’avoir à tenir ses engagements et à distribuer des vivres.

Ce dernier leur répliqua qu’il n’avait d’ordre à recevoir de personne et n’en ferait qu’à sa tête. Là-dessus, Vaillant harangua la foule, l’engageant à ne pas se laisser berner, et l’entraîna vers la boulangerie où il se mit à lui distribuer du pain.

Vaillant et Gérard furent appréhendés, mais on craignit d’envenimer les choses. Bien qu’averti que « cela lui coû-