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POUR AVOIR LES POUSSINS.

boutique celle qu’Euphrosine appelait sa rivale, la radieuse madame Rosalba Louchard, jeune veuve âgée de neuf lustres et très-rigide dans ses principes.

Quelques mois auparavant, il ne s’en était pas fallu de l’épaisseur d’un cheveu que madame Louchard ne congédiât sa première ouvrière, mademoiselle Euphrosine, qui attirait dans le magasin un petit garçon coiffeur du voisinage, nommé Zéphyrin, qu’elle avait surpris un jour devant le comptoir, gesticulant, et faisant à mademoiselle Euphrosine une déclaration d’amour, tirée des profondeurs de sa poitrine d’homme, comme à l’Ambigu.

Cependant, depuis quelque temps, madame Louchard trouvait Zéphyrin plus posé, et susceptible d’apprécier une personne d’éducation, quels que fussent son âge et son poids. Le bruit courait même dans le quartier que madame Louchard songeait à se remarier ; Zéphyrin n’avait rien, il est vrai ; mais la maîtresse corsetière avait, disait-on, du foin dans ses socles ; et pourquoi l’amour sans capitaux ne s’unirait-il pas à l’embonpoint inscrit à la Caisse d’épargne ?

— Zéphyrin n’est pas encore venu ? dit madame Louchard en caressant les mèches de son tour.

— Non, il n’est pas venu, murmura Euphrosine entre ses dents, vieille…

Elle n’acheva pas.

Au même instant, une apparition, sentant l’huile de Macassar, traversa la boutique comme un éclair : c’était Zéphyrin. Il s’élança d’un bond dans l’arrière-boutique, où l’attendait madame Louchard ; et là, il se mit à la coiffer, ou plutôt à coiffer son tour, comme on ne coiffe plus que