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COMME ON FAIT SON LIT

lations ; il n’en est pas une dont la conception lui échappe, ou qui, par la multiplicité des travaux qu’elle exige, dépasse les forces de ce courageux athlète. Mais Cléon, mal inspiré certain jour, s’est persuadé qu’il pouvait vivre heureux dans un pauvre bourg du Finistère. Il s’y est laissé clouer par un sot mariage et par l’achat d’une misérable étude. Le sort en est jeté ; à moins de prendre une de ces résolutions héroïques, dont la responsabilité glace les plus entreprenants, il faudra que Cléon dévore jusqu’au bout sa noble ardeur, qu’il ronge son frein en silence, et qu’il restreigne son génie aux proportions mesquines de quelques menus procès, de quelques transactions vulgaires. Il se sent déplacé dans cette sphère étroite ; il s’y désole, il s’y tourmente ; il dépense en caprices et en accès d’humeur le superflu de sa force ; il fatigue les autres et lui-même de sa vitalité surabondante. Il faudrait raccourcir ce géant, pour qu’il tînt à l’aise dans son lit de Procuste.

Un lit mal fait, c’est encore celui où notre grand Molière étend l’infortuné Georges Dandin. Qu’avait besoin ce brave bourgeois de prendre pour femme une Sotenville ? La famille des Dandin, — cette honnête famille, — méritait-elle une pareille disgrâce ? Mais tu l’as voulu, pauvre sot ! Dans une folle envie de blasonner ton lignage et d’anoblir, — par le ventre, — ta postérité, ta cervelle s’est fourvoyée. Ce qui s’ensuit, vous le savez tous : les dédains du beau-père, les sottes prétentions de la belle-mère, — une La Prudoterie, — et le tendre penchant de la belle Angélique pour monsieur le vicomte de Clitandre. Bref, tous les détails de cette farce immortelle sont encore présents à votre esprit. Or, vous le savez aussi, Dandin, tout malheureux qu’il est, ne fait grand’peine à personne. Personne, il est vrai, ne voudrait