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COMME ON FAIT SON LIT.

patrimoine borné, mais suffisant aux besoins d’une existence comme la sienne, aux exigences d’une imagination tranquille et inerte. Damis pouvait vivre heureux en province, entre un carré de tulipes et une volière, raclant à loisir quelques mélodies sur la guitare, et rimant des madrigaux pour les Cydalises de l’endroit. Mais point du tout. Damis est venu à Paris ; il a voulu s’assurer les moyens d’y vivre sans profession ; il s’est jeté à l’étourdie dans la carrière des spéculations industrielles, celle-là même qui réclame les soins les plus assidus, et où son indolente nature, aux prises avec des luttes quotidiennes, devait lui valoir des revers quotidiens. Qu’est-il arrivé ? Sa modique fortune s’est perdue. Le petit avoir, qu’il devait, avant tout, s’appliquer à conserver, il l’a détruit en voulant l’accroître. Ce qu’il a fait dans l’intérêt de sa paresse, a tourné contre elle. Aujourd’hui Damis est soldat. Il se lève bien avant le soleil, travaille plus que l’ouvrier le plus laborieux, et pour quel salaire, et avec quelle espérance ! Damis reconnaît trop tard aujourd’hui qu’il s’est trompé sur son aptitude et sa vocation. Cette erreur lui coûtera le bonheur de toute sa vie ; — il a mal fait son lit ; il est mal couché.

Voyez au contraire l’impétueux Cléon. À celui-là convenait l’air parisien. Cléon ne dort jamais ; son imagination, fiévreuse et créatrice, enfante chaque jour de nouveaux projets. Rien qu’à voir son regard si vif, rien qu’à suivre sa parole si animée, vous reconnaissez l’homme énergique, fait pour vivre à son aise au sein des plus terribles agitations. Cléon serait à sa place sur le tillac d’un navire, commandant la manœuvre par un gros temps. Cléon serait encore à sa place dans la tribune parlementaire, un jour de crise politique. Jetez Cléon sur la voie des grandes spécu-