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PAPIER DE FOU.

ci, plus belle que les autres, s’est montrée aussi plus mal avisée. Alors moi, saisissant l’allusion :

— Personne, dis-je, n’a obtenu ses faveurs, parce que personne ne les mérite ; mais si quelqu’un les méritait, à coup sûr ce serait moi.

— Vous mentez, dit-il.

À peine mon rival eut-il prononcé ce démenti que mon épée rapide passa du fourreau dans sa poitrine. On n’eut pas le temps de m’arrêter. Le châtiment suivit l’insulte, comme la foudre suit l’éclair. Commis en public et à la face du jour, ce crime, si c’en est un, ne pouvait un seul instant rester ignoré. J’avais pris la fuite aussitôt après ce coup fatal ; mais déjà les alguazils couraient sur mes traces. Après plusieurs détours, épuisé de fatigue, j’allais me rendre à eux, lorsque, la muraille de votre jardin m’offrant un endroit propice à l’escalade, je m’y suis jeté sans réflexion. Maintenant, Seigneur, vous savez tout ; ma vie est en vos mains. Vous pouvez, si vous craignez d’attirer sur vous la colère du roi, livrer don Alvar de Benavidès à ses bourreaux.

Don Manrique. — Vous ne pensez pas que je le fasse, don Alvar, et si vous le pensiez, ce serait pour moi une mortelle injure. Comment s’appelait votre rival ?

Don Alvar. — Don Manuel de Souza ; c’est le fils aîné du gouverneur de Lisbonne.

Don Manrique. — Son père est puissant, et je crains pour vous sa colère ; mais nous essaierons de vous y dérober. Vous n’êtes pas le seul proscrit que j’aie depuis un an soustrait à la rigueur des lois. Venez, s’il vous plaît, par ici.

(Ils sortent.)