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LA POULE A LES YEUX.

ces contrariétés ; les amants avaient résolu de s’appartenir. Soledad et Miranda avaient l’imagination exaltée, Eugène et Ernest étaient jeunes et non moins ardents ; que devait-il résulter de tout cela ? un enlèvement.

L’ombre enveloppait Grenade, d’épais nuages couvraient le ciel ; c’était une nuit propice aux entreprises amoureuses. À minuit, deux jeunes filles, enveloppées dans leur mante, arrivèrent en un lieu écarté où les attendaient les deux jeunes gens et une chaise de poste.

Elles allaient monter en voiture, lorsqu’une vieille femme les tira par la robe.

— La charité, mes nobles demoiselles, s’il vous plaît !

— La mendiante de l’Alhambra ! s’écria Eugène avec emportement. Postillon, en avant ! route de France !

Les chevaux s’élancèrent ; mais la vieille sauta dans la voiture avec une légèreté qui n’était pas de son âge. Les jeunes filles poussèrent un cri d’effroi.

— Cette femme ici ! dit Ernest avec un geste de colère.

— N’est-ce point ma place ? répondit la séniora Montés en reprenant sa voix naturelle ; ne suis-je pas la mère de ces deux enfants ? Il est bien juste que je voyage avec mes gendres futurs ; le mariage aura lieu à Paris, j’en suis charmée.

Soledad et Miranda se jetèrent au cou de leur tante ; Ernest et Eugène restaient interdits.

— Messieurs, reprit la tante, je vous connais et je vous donne mes nièces avec plaisir ; je ne vous ai pas perdus de vue un seul instant, sans que vous vous en doutiez. Je lisais vos lettres, elles m’instruisaient de tout. Je vous rends l’argent que vous avez donné à la vieille de l’Alhambra ;