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SOUVENT SE TIENT LE DIABLE.

que tu l’aurais adorée si tu l’avais vue comme moi ! Chaque jour Rosine allait à la messe de Notre-Dame-de-Lorette, sa paroisse ; jamais on ne la surprenait au bal, au concert, au théâtre ; sa charité soulageait les malheureux dans l’ombre ; nulle visite chez elle. Ah ! que de peine j’ai eue à me faire admettre dans son délicieux petit ermitage ! Si je n’avais pas eu de cheveux gris, peut-être n’y serais-je jamais parvenu.

— Voyez pourtant à quoi tient le bonheur ! En voilà un qui était suspendu à une nuance ! s’écria Galabert.

— Quel langage ! Ah ! mon cher Étienne, tu ne sais donc plus honorer la vertu ?

— Pardonne-moi, mon cher Maubertin, j’oublie toujours qu’un témoin doit être sérieux quand même ; mais la gravité ne tardera sans doute pas à venir, j’ai déjà l’habit de l’emploi. Cependant permets-moi encore une question ; tu m’as dit le nom et les vertus de ta prétendue, mais tu ne m’as rien dit de son état social. Qui est-elle ? fille ou veuve, riche ou pauvre ?

— Madame de Fernange est veuve d’un lieutenant général mort en Afrique.

— Mon ami, ne te semble-t-il pas que l’Afrique tue trop d’officiers-généraux ? Les veuves de la jeune armée se multiplient à faire peur.

— Madame de Fernange a du bien du côté de sa mère, une terre en Bourbonnais, où sa famille était fort considérée.

— Noblesse d’épée sans doute ? reprit Étienne avec un sourire que ne vit pas Jacques Maubertin.

— Noblesse de robe, répondit sérieusement le prétendu. Mais suis-moi, et je te présenterai à ma Rosine.