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VAUT MIEUX QUE PIGEON QUI VOLE.


Léon, qui était allé, suivant l’usage des étudiants émancipés, se loger sur les cimes de la Chaussée-d’Antin, le Mont-Parnasse des représentants des arts et de la littérature moderne.

Un jour, en jetant par hasard les yeux sur un journal de théâtre, Paul aperçut le nom de son ami Léon encadré avec le titre d’un drame nouveau dans une magnifique réclame qui promettait au jeune auteur la plus brillante réussite. Paul ne put retenir ses larmes en lisant cet article :

— Il est heureux, dit-il, et il m’a oublié ! Ne lui ai-je pas répété sans cesse que ses succès me seraient toujours plus chers que les miens ?

Cependant, la veille de la représentation du drame de son ami, Paul trouva chez lui deux stalles avec une lettre de Léon, qui s’excusait en quelques lignes d’avoir été si longtemps sans lui donner de ses nouvelles ; mais les travaux qui l’accablaient, les soins, les fatigues inséparables d’un drame nouveau, avaient absorbé tous ses instants ; enfin, il le reverrait le lendemain au foyer du théâtre, après la représentation.

Dans ce temps-là, tous les drames réussissaient, pourvu qu’ils eussent la couleur moyen-âge. La pièce de Léon se passait en plein quatorzième siècle, elle alla aux nues. Paul, tout classique qu’il était, avait applaudi les vers de son ami avec le fanatisme et l’exaltation d’un romantique. Ivre de bonheur, il se rendit au foyer après la représentation et trouva Léon entouré de toutes sortes de barbes et de chevelures qui voulaient le porter en triomphe et l’appelaient Goëthe, Shakspeare, Corneille et Calderon.