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ON A SOUVENT BESOIN

même des gens de l’hôtel était qu’il ne conserverait pas longtemps sa place. Outre que le beau chasseur vieillissait, ce qui ôtait à son service beaucoup de sa promptitude et de son élasticité, il avait contracté la funeste habitude de boire le matin à jeun un grog, puis deux, puis trois, puis six ; puis les verres de rhum et d’absinthe offerts par occasion ; sa journée avait fini par ne plus être qu’un tissu de libations. Souvent, quand Belrose paraissait devant le prince, celui-ci s’était aperçu que le chasseur parlait avec incohérence et chancelait sur sa base ; des menaces de congé lui avaient été signifiées à plus d’une reprise. Ces menaces auraient même reçu leur exécution, si Belrose n’avait eu son bon ange dans la personne de Jacquot, qui veillait sur lui avec la fidélité d’un fils. Lorsqu’il s’agissait de monter le soir derrière la voiture du prince, et que le chasseur se trouvait avoir le cerveau plus alourdi qu’il ne convenait, Jacquot avait le soin de grimper sur le marche-pied où se tenait Belrose, et de lui pincer les jambes de temps en temps, de manière à le tenir éveillé jusqu’au moment où il devait ouvrir la portière.

Le prince avait-il à remettre au chasseur quelque lettre qui exigeait une prompte réponse, Belrose était à peine dans le vestibule que Jacques lui avait déjà arraché la lettre des mains, s’élançait dans la cour avec la vivacité de l’écureuil, et rapportait la réponse en moins de temps qu’il n’en avait souvent fallu pour l’écrire.

Charmé de cette promptitude vraiment atmosphérique, le prince se disait parfois en pensant à son chasseur : — Il a de grands défauts sans doute, négligent, paresseux, ivrogne ; mais il s’acquitte des messages que je lui confie avec une