Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
DE PEU DE DRAP,

porte du cabinet s’ouvrit. Un jeune homme entra, dont le front élevé, les yeux perçants, la bouche intelligente, m’inspirèrent une sorte d’attrait sympathique. C’était le secrétaire de l’homme d’état que mon ami remplaçait ; il venait proposer à la signature un travail pressé dont il avait été chargé, peu de jours auparavant, par son ancien patron. Charles y jeta un coup d’œil distrait, improvisa d’un ton péremptoire quelques objections superficielles, et annonça son intention de faire recommencer cet exposé de motifs sur un plan tout différent, et d’après d’autres idées.

Le jeune secrétaire rougit légèrement, — on n’est jamais disgracié sans quelque dépit ; — mais le sourire sardonique dont il accompagna l’offre de sa démission, m’apprit qu’il savait à quoi s’en tenir sur les dispositions méfiantes du nouveau ministre.

Cette démission fut acceptée immédiatement, et lorsque, après le départ du jeune homme, j’en témoignai ma surprise à Charles :

— As-tu donc oublié, — me dit-il, — les principes dont je t’ai fait part ? Le travail de ce jeune cadet révélait autant de talent que sa physionomie en promet ; c’est pour cela que je l’ai refusé sans hésiter. Avec un pareil acolyte, je perdrais bientôt la responsabilité de mes idées ; on dirait que j’ai un faiseur, et véritablement j’en aurais un, car sur bien des points, je ne pourrais faire adopter mes opinions à un petit entêté si sûr des siennes.

J’avais cru jusque-là que l’apologie des sots, dans la bouche de mon ami, n’était qu’un ingénieux paradoxe. Dès