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LA BREBIS SUR LA MONTAGNE

offrons-lui de l’or pour qu’elle se taise. Le prince sonna aussitôt son fidèle Carlo et lui dit : — Monte chez cette sirène maudite et offre-lui de ma part cent sequins si elle veut garder le silence.

Muni d’une bourse, Carlo grimpa aussitôt chez la Barati en se disant ce que son confrère Figaro devait chanter un siècle plus tard : All’idea di quel metallo… Il transmit à la choriste les offres du prince ; elles furent acceptées et le contrat passé à l’instant même. Cent sequins pour garder le silence ! certes la somme était faible, si l’on songe à ce qu’exigent certains orateurs politiques de nos jours pour ne pas prendre la parole.

Le lendemain la Barati, fidèle à sa promesse, n’ouvrit pas son piano ; pour se dédommager, elle se mit à compter ses sequins. Mais quand elle les eut comptés et recomptés plusieurs fois, elle reconnut que cette occupation était monotone et qu’il était plus agréable de lancer dans le ciel des pluies de notes et des fusées de gammes. Aussitôt, comme le savetier de notre bon La Fontaine, elle renvoya la bourse de sequins au prince, en lui annonçant qu’elle aimait mieux lui rendre son argent que de s’engager à ne plus chanter. À peine les sequins furent-ils partis, qu’elle entonna une de ses plus brillantes cavatines ; jamais sa voix n’avait été plus harmonieuse ni plus belle.

— Ces sons-là valent bien celui des sequins, s’écria-t-elle en battant des mains avec transport.

— Ah ! l’infâme me tuera ! disait le prince du fond de sa chambre à coucher.

Cependant, le lendemain du jour où la bourse lui avait été rendue par la virtuose, le prince s’étonna d’avoir dormi