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LE MIEL EST DOUX,

Daphnis. — Il est un dieu, Chloé, un dieu malin qui prend plaisir à tourmenter les mortels infortunés ; il rôde sans cesse autour de nos demeures, et quand il aperçoit un gaillard frais, robuste, bien portant, il tire de son carquois une flèche empoisonnée et la lance contre lui. Aussitôt le malheureux ne dort plus, ne mange plus ; il s’étiole, il maigrit, il erre dans les champs comme un insensé, il est atteint de ce mal terrible qui fait souffrir plus que tous les autres maux.

Chloé. — Comment l’appelez-vous ?

Daphnis. — L’amour.

Chloé. — Vous voulez rire, mon cher ? l’amour faire souffrir ! c’est impossible. L’amour est un baume, un parfum, un philtre, tout ce qu’il y a de plus salutaire, de plus doux, de plus enivrant sur la terre. L’amour peuple le sommeil de rêves charmants ; au lieu de décocher des flèches empoisonnées, ce dieu que vous flétrissez de l’épithète de malin, voltige auprès de nous, rafraîchit notre visage avec ses ailes parfumées, et fait retentir une musique divine à nos côtés. On n’est jamais malade d’amour.

Daphnis. — Qui vous l’a dit ?

Chloé. — Palémon.

Daphnis. — Le gredin ! Je m’en doutais…

Chloé. — Vous dites ?…

Daphnis. — Je dis que vous avez tort de parler avec Palémon.

Chloé. — Pourquoi ?

Daphnis. — Parce que c’est un farceur qui ne cherche qu’à tromper les jeunes bergères.