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LES LOUPS LE MANGENT.

taient bien ; mais tout à coup un grand changement s’est opéré dans le caractère de Jacquot. Lui, que nous avons vu si docile, si résigné, si bon garçon, il est devenu rétif, ombrageux ; il se met à braire à chaque instant, sans rime ni raison. S’il porte des sacs au moulin, il feint de faire un faux pas, et il laisse tomber sa charge ; si le meunier l’enfourche, il choisit à dessein l’endroit le plus raboteux pour se mettre à trotter ; si les enfants lui apportent une poignée d’avoine ou l’écorce fraîche et appétissante d’un melon, il dédaigne ces marques d’amitié qui lui étaient autrefois si précieuses, et répond par des ruades aux caresses de ses amis. Sans doute quelque vieux mendiant en haillons, jaloux d’entendre partout l’éloge de Jacquot, lui aura jeté un sort en passant le soir devant le moulin.

Ce n’est point un maléfice qui tourmente Jacquot ; ou plutôt c’est le plus grand, le plus terrible, le plus funeste de tous les maléfices : l’amour, puisqu’il faut l’appeler par son nom. Jacquot n’a pu se soustraire à l’universelle loi, une invisible flèche a percé son cœur, il est amoureux fou d’une jeune ânesse qui demeure à une lieue de chez lui, l’ànesse du curé. Elle est blanche, elle est grasse, elle est potelée ; quand elle monte au moulin, elle tient constamment les yeux baissés sans prendre garde aux ruades d’admiration, aux braiments d’enthousiasme que sa présence excite de tous côtés. Comment Jacquot pouvait-il résister à tant d’innocence et de candeur ?

Dans un état de civilisation où l’on tiendrait plus compte que dans le nôtre des intérêts du cœur, Jacquot serait devenu l’époux de Jacqueline (c’était le nom de l’ànesse) ; mais par un sot orgueil on la maria à un cheval. En appre-