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PAR LA QUEUE, ETC.

yeux les chasseurs, les artilleurs, les grenadiers ; il vous chercha, je crois, jusque parmi les sapeurs. Mais, quelle fut sa douloureuse consternation lorsque, en montant la rue Saint-Jacques, il aperçut à l’étalage d’une friperie un uniforme complet, que son coup d’œil d’habitant de Louviers lui fit aisément reconnaître ! L’uniforme, les buffleteries, le bonnet, le tout avait été placé sur un mannequin dont la figure de carton souriait à votre oncle de l’air du monde le plus bête. Votre oncle fut sur le point de prendre au collet son mannequin de neveu ; mais il se contint, et préféra quitter Paris le soir même, sans vouloir vous voir. Quelques jours après, une lettre datée de Louviers vous arriva, lettre fulminante, écrasante.

Mon ami, avouez que le diable était alors à peu près votre seul client ; que d’affaires n’avez-vous pas faites avec lui ! Il vous rendait souvent visite, et cependant ses visites n’avaient pour vous rien d’importun. Vous n’étiez pas obligé, comme maintenant, d’étouffer ces bâillements nerveux que produit en vous le récit de certaines affaires qu’on vous rebat périodiquement depuis plusieurs années.

Le diable était de toutes nos parties de plaisir. Dans le carnaval, ne pouvions-nous pas dire à la lettre, et sans nous offenser, que le diable nous emportait ?

Il arrivait souvent que nous avions reçu quelques jours avant la visite du tailleur du Havre ou de Taïti, qui s’était présenté à notre hôtel avec de grandes révérences, et une longue queue passant sous son justaucorps, mais que nos yeux inexpérimentés ne nous permettaient pas d’apercevoir. Ce tailleur nous faisait changer nos meilleurs vêtements contre des foulards tartares, des pipes turques, des camées