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HABILLE-TOI LENTEMENT

tées de mille manières : il est vrai qu’il parlait fort peu. On lui supposait le don de prévoir les événements, et quand il lui arrivait d’éviter un homme en place, chacun tournait le dos au pauvre gentilhomme, bien convaincu qu’il allait être destitué ; le plus souvent l’avenir se chargeait de réaliser ces muettes prédictions.

— Comment donc vous y prenez-vous pour si bien prévoir les choses ? lui demandait un jour M. de T.

— J’attends et j’écoute.

Un jour M. de T. vantait très-fort l’habileté et l’ardeur d’un gentilhomme qui, voulant se pousser à la cour, ne mettait jamais qu’une heure à faire ce que d’autres ne pouvaient ébaucher qu’en trois. M. de P. sourit.

— Je ne me suis jamais pressé, dit-il, et je suis toujours arrivé à temps.

M. de T. se plaignait parfois de la rapidité avec laquelle les heures passent.

— Pour avoir le temps de tenir tête à tout, disait-il, il faudrait que les jours eussent quarante huit heures.

— Ce serait quatre fois trop, répliqua le duc ; réduits le jour à la moitié, et il en restera toujours assez pour que les neuf dixièmes des hommes trouvent encore le loisir de se casser le cou.

M. de P. était dans toute sa faveur quand la mort arriva ; mais elle ne put le surprendre : il était prêt. Avant d’expirer il fit approcher son neveu.

— Voilà, lui dit-il, l’instant de te prouver mon amitié. Tu es jeune et ambitieux ; dans le chemin de la politique on peut tomber si l’on n’a pas l’œil et le pied sûrs. Prends ce portefeuille ; j’ai eu le soin d’y tracer les conseils que