Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
184
BREBIS COMPTÉES,

poser aux sentiments de Gillette. Il craignait d’ailleurs les madrigaux, les chansons, les devises tendres qui couraient le pays, et préféra envoyer Guillot et Gillette droit à l’église, afin de les soustraire à l’influence de l’églogue.

Peu de temps après ce mariage, le fermier Robin mourut ; il laissa sa ferme à Guillot, qui eut des bergers à son tour, mais qui leur recommanda surtout de ne jamais compter ses brebis, sachant par expérience ce qu’il en coûte pour faire ce compte. À force de passer son temps avec Astrée et Céladon, il avait fini par exprimer ses pensées sous une forme mythologique : — Le mieux, disait-il, est de recommander son troupeau à Pan, à Palès et aux autres divinités champêtres.

Guillot devint le plus riche fermier du Forest et en outre le plus heureux des époux ; Gillette effaçait toutes les autres fermières par sa beauté et sa fécondité : chaque année elle mettait au monde une fille, si gracieuse et si jolie qu’avant qu’elle eût atteint l’âge de sa première dent, les autres bergers lui avaient déjà adressé des sonnets, et toutes sortes de galanteries champêtres. Guillot eut ainsi successivement d’années en années jusqu’à neuf filles, qui furent comparées aux neuf Muses et baptisées sous des noms poétiques.

Mais, une année après avoir mis au monde la dernière, Gillette mourut, et Guillot se trouva seul, ayant à élever et à surveiller neuf merveilles, neuf astres, neuf divinités, dont une seule eût suffi pour devenir l’Hélène du Forest et bouleverser ces lieux fabuleux et enchanteurs que nous appelons aujourd’hui le département de la Loire.

Guillot laissa grandir ses filles, et parvint à un temps où la plus jeune avait treize ans à peine et où l’aînée n’en avait